L'envers du décor des data centers marseillais
En France, les data centers se développent partout et la cité phocéenne, 6ème hub mondial d'Internet, n'est pas en reste. En novembre 2024, une enquête de Marsactu révélait l’envers du décor, celui d’un “nuage” qui fuit, au sens propre comme au figuré.
On parle souvent du "cloud" comme s’il flottait au-dessus de nos têtes. En réalité, il s’ancre dans nos villes, dans ces bâtiments massifs où s’entassent les serveurs qui font tourner nos mails, nos vidéos, nos stories, nos vies connectées. À Marseille, sixième hub mondial d’Internet, ce “nuage” s’est matérialisé : quatre data centers du géant américain Digital Realty y tournent à plein régime, portés par la promesse d’un numérique “bas carbone”.
Mais derrière les slogans verts, le paradoxe est étouffant. Ces temples de la dématérialisation rejettent dans l’air des gaz que nous ne voyons pas, puisent de l’eau que nous ne comptons plus, consomment une énergie que d’autres n’auront pas. En novembre 2024, une enquête de Marsactu avait déjà révélé l’envers du décor, celui d’un “nuage” qui fuit, au sens propre comme au figuré. Un an plus tard, les discours se sont verdis mais les impacts, eux, sont restés bien réels.
⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ En France, les data centers se développent partout et la cité phocéenne, 6ème hub mondial d'Internet, n'est pas en reste. Le leader mondial du secteur, Digital Realty, en a déjà installé quatre.
→ Entre 2021 et 2023, une enquête de Marsactu a révélé d’importantes fuites de gaz fluorés sur l’un de ces sites - entraînant des rejets de gaz à effet de serre largement supérieurs aux normes - qui ternissant l’image “irréprochable” revendiquée par le leader américain.
💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Alors que Digital Realty avait été mise en demeure par la préfecture des Bouches-du-Rhône en 2023, l'entreprise n'a pas été de nouveau épinglée depuis la parution de l'enquête.
→ L'article n'a pas rencontré un écho médiatique très important. Il a néanmoins permis à de nombreux·euses Marseillais·es de prendre conscience de “l'ampleur du problème”.
Des rejets de gaz à effet de serre bien au-delà des normes
En novembre 2024 paraissait l'enquête « Des fuites de gaz fluorés, ombre au tableau du développement exponentiel des data centers » de la journaliste indépendante Nina Hubinet pour le média local d'enquête Marsactu. On vous explique :

- Encouragée par l’État, la filière des data centers – qui stockent, reçoivent et envoient des milliards de données numériques – se développe à vitesse grand V. La France hexagonale en compte déjà plus de 300. La ville de Marseille s'est même hissée récemment à la 6e place des hubs internet mondiaux devant Hong-Kong (quand le plus grand data center de France se trouve, lui, en banlieue parisienne).
 - En dix ans, Digital Realty – leader mondial des centres de données – en a installé pas moins de quatre sur des friches de l'industrie portuaire marseillaise. L'américain est d'ailleurs en train d'en construire un 5e, et projette d'en faire sortir de terre un 6e dans une commune limitrophe de Marseille.
 - Ces data centers s'inscrivent dans une démarche « bas carbone », assure le leader mondial, notamment grâce à leur système de refroidissement performant (aussi appelé « river cooling »). Mais ce que la multinationale ne dit pas, révèle l'enquête de Nina Hubinet pour Marsactu, c'est qu'en 2023, l'entreprise a été mise en demeure par la préfecture des Bouches-du-Rhône suite à un rapport de la DREAL pour des fuites récurrentes de gaz fluorés.
 - Ces fuites, causées par un système de refroidissement défaillant, ont causé l'émission de 2000 tonnes équivalent CO2 entre 2021 et 2023. Un chiffre bien au-delà des normes et qui représentent l'équivalent des rejets annuels de CO2 des 16 data centers de Digital Realty en France. Des fuites que l'entreprise a par ailleurs omis de déclarer aux autorités.
 
En quête d'impact
Un an après la publication de l'enquête, ces fuites de gaz fluorés ont-elles encore eu lieu ? Les riverain·es marseillais·es se sont-iels mobilisé·es ? La question de l'empreinte carbone des centres de données a-t-elle trouvé un plus grand écho dans les médias ?
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête. Rendez-vous dans le guide du journalisme d'impact pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.
→ Lorsque Digital Realty a été mise en demeure par les autorités, le leader mondial a été contraint de stopper ces fuites en remplaçant le fluide frigorigène qu'il utilisait jusqu'alors par un autre fluide, moins polluant.
→ Depuis quelques années, des responsables politiques locaux, dont Sébastien Barles (EELV), adjoint au maire de Marseille chargé de la Transition écologique, se sont emparés du sujet des data centers. Mais pour le moment, il n'y a pas de relais importants au niveau national qui questionnent de façon plus générale la pollution engendrée par les data centers. Aucune proposition de loi n'a non plus été faite en ce sens.
→ Si des articles paraissent de temps en temps dans la presse sur l'impact environnemental des data centers, Nina Hubinet n'a pas été invitée à parler de son travail et son enquête n'a pas non plus fait l'objet de reprises médiatiques. « L'utilité de cette enquête, c'est d'éveiller l'intérêt du grand public sur une industrie du numérique qui reste encore très méconnue, dit-elle. Mais dans la masse des urgences écologiques, ce n'est peut-être pas toujours ce qui paraît le plus urgent. »
→ Depuis un an, aucun nouveau rapport de la DREAL et aucune nouvelle mise en demeure de la préfecture à l'encontre de Digital Realty n'ont été effectués. « Si on l'interprète de manière positive, ça peut vouloir dire que de fait, après cette première mise en demeure, ils se tiennent plus à carreaux », explicite Nina Hubinet.
→ La journaliste a reçu de nombreux retours de la part de lecteur·trices qui, jusqu'alors, « n'avaient aucune idée de l'ampleur du secteur des data centers à Marseille ».
→ Dans la cité phocéenne, il y a d'ailleurs un certain intérêt citoyen autour du sujet, développe-t-elle : « Quand le collectif Le nuage était sous nos pieds [créé à Marseille, ce collectif citoyen analyse et lutte contre les impacts du numérique, NDLR] a organisé une balade pour comprendre les enjeux des data centers à Marseille, une soixantaine de personnes ont répondu présentes. Ce n'est pas rien ! Et il ne s'agissait pas seulement de militants écolo. Il y avait plusieurs personnes qui travaillent elles-mêmes dans l'industrie numérique et qui s'inquiètent de dérives potentielles vers lesquelles peut mener le développement tout azimut du numérique et notamment de l'intelligence artificielle ».
Les coulisses de l'enquête sur les data centers marseillais
Nina Hubinet est journaliste indépendante, membre du collectif Presse-Papiers. Basée à Marseille, elle s'intéresse principalement aux questions de pollution industrielle.
Pour Rembobine, elle revient sur le développement exponentiel des data centers à Marseille, leur impact carbone encore trop peu connu, et l'imaginaire « futuriste » et « novateur » dont ils continuent à bénéficier.

Pour mieux suivre le sujet de l'impact environnemental du numérique
La question des data centers et plus largement de l'impact du numérique peut parfois paraître technique. On vous a sélectionné quelques ressources pour vous y retrouver :
📻 Data centers : des données... pas données, un podcast d'Interception (France Inter)
Si vous aimez la radio, alors on vous invite à vous lancer dans l'écoute de ce reportage qui plonge dans les coulisses d’Internet à la découverte de ces fameux data centers qui stockent, reçoivent, envoient des milliards de données et, surtout, poussent comme des champignons. Indispensables à notre monde virtuel, ils sont aussi terriblement énergivores.

🗞️ Quand internet bétonne la France, une enquête de Floriane Louison et Hélène Seingier pour la revue trimestrielle Zadig
Vous vous en doutez peut-être : l'essor du commerce électronique et la multiplication des data centers poussent à la construction de plus en plus d'entrepôts et de centres de stockage. Il en résulte une artificialisation croissante des sols néfaste à l'environnement, dévoilent Floriane Louison et Hélène Seingier dans leur passionnante enquête pour Zadig.

🖥️ Intelligence artificielle : le vrai coût environnemental de la course à l'IA, un dossier de Lou Welgryn et Théo Alves Da Costa pour le média indépendant Bon Pote
Si vous ne le connaissez pas encore, on ne peut que vous conseiller d'aller regarder du côté du média indépendant Bon Pote, qui alerte sans relâche sur le changement climatique. En septembre dernier, Lou Welgryn et Théo Alves Da Costa y signaient un dossier très complet sur le coût environnemental de l'intelligence artificielle.

🗞️ Polémique au Mucem à cause du lien de l’un de ses mécènes avec Israël, un article de Quentin Mallet pour Marsactu
Et pour celleux qui voudraient aller encore plus loin, l'information vient de sortir. Mécène fondateur du Mucem, le leader américain Digital Realty est accusée d'être impliquée dans la colonisation israélienne, dévoile le journaliste Quentin Mallet, toujours pour Marsactu. De quoi perturber la programmation du musée, qui défend son mécène tout en prônant la “neutralité”.

Lecteur·rices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !
1. Partagez (hors-ligne) l'enquête de Nina Hubinet et son décryptage par Rembobine pour sensibiliser vos proches aux impacts méconnus du numérique.
2. Rapprochez-vous de collectifs ou associations qui s'intéressent aux impacts du numérique, à l'image du collectif Le nuage était sous nos pieds à Marseille, ou de La Quadrature du Net. Le Bon digital répertoriait d'ailleurs il y a quelques années 10 associations qui luttent pour un numérique responsable.
3. Interrogez vos élu·es locaux. Marseille, comme d’autres villes, accueille ces infrastructures : que savent-ils de leur impact environnemental ? Quelles garanties exigent-ils ?
4. Questionnez vos usages numériques. Hébergement, streaming, cloud : que peut-on alléger ? Pas pour “se culpabiliser”, mais pour comprendre le système dont on fait partie. Pour vous aider, tournez vous vers des médias qui vulgarisent les enjeux du numérique responsable, comme Les E-Novateurs.
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