« Le foot, c’est le rêve et les paillettes... Pas les scandales »
Journaliste à L'Équipe, Fabien Touati enquête depuis plusieurs années sur les violences sexuelles dans le football.
Après un premier documentaire remarqué sur M6 en 2023, le journaliste a signé pour L'Équipe en octobre 2024 le podcast "L'ogre des cités". Succès d'audience, cette enquête a surtout permis de libérer la parole de nombreux anciens jeunes footballeurs.
Pour Rembobine, Fabien Touati raconte comment il en est venu à traiter ce sujet tabou des violences sexuelles dans le football, les résistances qu’il a rencontrées et ce qu’il attend désormais des institutions pour que la tolérance zéro cesse de n'être qu'un slogan.
Comment en es-tu arrivé à t'intéresser aux violences dans le sport et particulièrement dans le football ?
J’ai été journaliste sportif pendant des années et un jour, j’ai été confronté à un de ces mecs. Je réalisais un documentaire sur Antoine Griezmann et dans le cadre de ce tournage, j’ai passé une journée avec Éric Olhats, son ancien recruteur. Une drôle de rencontre, mais j'ai fait mon reportage et suis rentré à Paris et j'ai un peu oublié. Deux ans plus tard, il est mis en examen pour agression sexuelle et corruption de mineur. Là, mes chefs à M6 me disent : “Tu connais le gars, tu connais le milieu, est-ce que tu veux enquêter là-dessus ?”

En mettant le nez dedans, je me suis rendu compte qu’il y avait plein d’affaires, que c’était sous-traité, ou presque systématiquement traité comme un fait divers. Et surtout, ce qui m’a choqué, c’est qu’à chaque fois on me disait : “On savait, tout le monde était au courant, mais tout le monde fermait les yeux.” C’est là que je me suis dit : les gosses sont en danger, ils ne sont pas protégés. J’ai voulu comprendre comment c’était possible, pourquoi il n’y avait pas de garde-fous, pourquoi ces types pouvaient continuer à travailler au contact des enfants. Cette fois, on a choisi le podcast car c’est un support formidable pour prendre le temps de raconter : on est vraiment plongé dans une ambiance.
Comment expliques-tu l'omerta autour du sujet ?
C’est très compliqué d’enquêter sur ces sujets parce que ça demande énormément de temps et un investissement humain énorme. Il y a plusieurs "cadenas" : déjà chez les hommes, la parole est beaucoup plus dure à libérer. Il y a la double honte : la honte du viol et la honte du viol homo. Le deuxième c'est que le foot, c’est un milieu fermé. Les clubs ne veulent pas parler, les jeunes et les parents non plus sous peine de briser leurs carrière. Le foot, c'est le rêve et les paillettes, pas les scandales.
Pour moi, ce qui doit changer d’abord, c’est la mentalité. Il faut éduquer, alerter sur les signaux faibles, ces comportements qu’on banalise : le coach qui ramène les gosses, qui les couvre de cadeaux… C’est ça l’omerta, c’est ce silence collectif autour de choses qu’on préfère ne pas voir.

Retrouvez la mesure d'impact de l'enquête de Fabien Touati par Rembobine
Qu'attends-tu des institutions ?
Tout simplement une vraie tolérance zéro. Les contrôles devraient être ultra stricts. Il faut se rendre compte qu'aujourd’hui, des types mis en examen ou condamnés peuvent encore créer une licence et se retrouver au contact de gamins. C’est aberrant. Pour moi, il faut absolument un vrai système de contrôle automatique où l'on croise les données judiciaires. C’est déjà fait dans d’autres secteurs, pourquoi c'est impossible dans le foot ? Des vies sont brisées.
L’État a bien créé une cellule, Signal-sport, mais elle est sous-staffée, sans réels moyens. Et dans les clubs, on se contente souvent d’ateliers symboliques pour se donner bonne conscience. Ce qu’il faut, c’est croiser les fichiers, alerter les encadrants sur les signaux faibles, et surtout changer les mentalités.
Les affaires se multiplient et pourtant, peu de choses bougent. Comment faire changer les choses selon toi ?
Pour que les choses changent, ma conviction c'est qu'il faut qu’à un moment il y ait des stars qui parlent. On ne va pas se mentir : le mouvement #MeToo dans le cinéma français, pourquoi ça bouge ? Parce que ce sont des stars qui ont parlé. C'est malheureux mais tant que c'était la maquilleuse de plateau, l’assistante, tout le monde s’en foutait. Quand Judith Godrèche et d'autres ont eu le courage d'en parler, l'ampleur a été énorme. Donc moi, je me bats justement pour faire parler une ou plusieurs stars. C’est là que ça changera. Disons que toutes ces affaires, Guedinèche, Olhats, et tant d'autres sorties par des consœurs et confrères préparent un peu le terrain et jouent une petite musique de fond. Le grand orchestre, lui, se mettra à jouer quand une star parlera.
C'est un travail de long court. Je finalise l'écriture d’un livre où j’espère justement révéler des très très grosses affaires. Les politiques et instances dirigeantes ne pourront alors plus laisser faire.
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