« On continue à forer dans un pays non pétrolier qui, de surcroît, a interdit l'exploitation du pétrole »

Floriane Louison est journaliste indépendante, spécialisée sur les questions climatiques et environnementales.

Cécile Massin
Cécile Massin

Pour Rembobine, elle revient sur ses méthodes d'enquête, l'intérêt de collaborer avec un·e data engineer, et ses astuces pour préparer l'impact d'une enquête en amont de sa parution.

Bonjour Floriane, pourquoi avoir commencé à travailler sur les puits de pétrole en France ?

Ces dernières années, les mobilisations contre les forages pétroliers ont commencé à prendre de l'ampleur. Il y a eu notamment pas mal de médiatisation autour d'un projet en Gironde [à La Teste-de-Buch, à côté d'Arcachon, NDLR]. Quand j'ai vu ça dans l'actu, ça m'a interpellée : je n'étais même pas au courant qu'on produisait encore du pétrole en France ! J'ai commencé à me questionner : est-ce que ce projet en Gironde est un cas isolé ou est-ce qu'en France, on extrait encore beaucoup de pétrole ? J'ai voulu en savoir plus et je me suis mise à fouiller.

En France aussi, le pétrole n’a pas dit son dernier mot
Il n’y a pas qu’en Arabie saoudite, en Russie ou en Irak qu’on extrait du pétrole. En France aussi. Près de 50 puits de pétrole ont été autorisés par l’État depuis 2017, alors même que son exploitation est censée être interdite depuis... la même année.

Comment avez-vous procédé pour établir que depuis la loi hydrocarbures, près de 50 nouveaux forages ont été autorisés ?

J'ai commencé par chercher tous les arrêtés préfectoraux d'autorisation de forage. Comme souvent dans les enquêtes environnementales, les documents sont en open source [rendus publics et librement accessibles, NDLR]. Le problème, c'est que ces documents ne sont pas faciles à regrouper : à l'époque, il n'y avait pas de moteur de recherche qui permette de les réunir [aujourd'hui, Data Disclose réunit les documents des autorités environnementales, qui évaluent l'impact de grands projets qui impactent l'environnement, NDLR]. J'ai donc recoupé ce travail de recherche avec des demandes directement auprès des préfectures : la plupart ne m'ont pas répondue, mais certaines l'ont fait. L'ensemble des données que je cherchais se trouve aussi dans une base de données publique du BRGM, la BEPH mais elle est difficile à exploiter sans l'aide d'un data engineer. Quand on enquête sur des données, il ne faut vraiment pas hésiter à recourir à ces spécialistes des datas car les bases de données peuvent révéler beaucoup de choses si on sait les faire parler.

Comment avez-vous travaillé avec la rédaction de Disclose ou de votre côté pour préparer l'impact de cette enquête ?

Ce que j'essaie de faire pour toutes mes enquêtes, c'est que je cartographie toutes les sources potentielles. Si j'identifie 150 personnes qui détiennent des informations ou qui pourraient avoir un avis intéressant sur le sujet, je ne les contacte évidemment pas toutes pendant l'enquête. Par contre, je garde leurs coordonnées pour leur faire part de mon enquête une fois sortie. L'idée, c'est que des personnes avec des capacités de décision ou de mobilisation puissent être au courant de mon travail, le relayer et éventuellement agir en conséquence.

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Avez-vous également préparé l'impact de l'enquête avant sa sortie ?

Quand on commence à travailler sur un sujet comme celui-ci et qu'on essaie d'évaluer son impact en amont, on voit bien qu'il y a des faiblesses : c'est un sujet qui a quelque chose d'anecdotique si on le compare à la masse des émissions de CO2 dans le monde. Avec les équipes de Disclose, nous avons donc essayé de réfléchir à comment on pourrait avoir de l'impact malgré ces faiblesses, et on s'est dit qu'il fallait insister sur le côté symbolique – le fait qu'on continue à forer des puits dans un pays non pétrolier qui, de surcroît, a interdit l'exploitation du pétrole. On s'est aussi dit que vue toutes les mobilisations en cours sur le sujet, notre enquête permettrait d'ajouter du grain à moudre, de contribuer au débat.

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Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante