Que deviennent les réfugié·es ukrainien·nes en France ? #60

Cécile Massin
Cécile Massin

Salut les Rembobineur·euses,

Certain·es d'entre vous s'inquiétaient (et on s'en excuse !) de ne plus nous lire dans leur boîte mail. Effectivement, entre les congés d'été et l'organisation de notre premier festival dédié au journalisme d'impact mi-septembre, on a fait une petite pause éditoriale. Mais ça y est, cette édition marque le retour de notre traditionnelle newsletter « En quête d'impact » !

Pour celles et ceux qui nous ont récemment rejoint (merci !), l'idée est simple : tous les 15 jours, nous revenons sur une enquête parue un an auparavant pour décrypter comment celle-ci a pu faire bouger des choses dans la société (mener à un procès, une indignation populaire, une proposition de loi... et j'en passe). Cette semaine, on vous embarque à la découverte d'une enquête de La Croix qui vous a peut-être échappée, mais sur laquelle on trouve nécessaire de revenir : alors qu'il y a un an, le quotidien alertait par la voix d'associations sur le risque que des milliers d'exilés ukrainiens se retrouvent à la rue, que s'est-il passé depuis ?

Bonne lecture et à dans deux semaines !
Cécile pour l'équipe Rembobine

Des Ukrainien·nes sans toit ? Le cri d'alerte des associations

En octobre 2024, la journaliste Capucine Licoys publie pour La Croix une enquête intitulée « Guerre en Ukraine : l’avenir incertain des réfugiés ukrainiens en France ». Voilà ce que dévoile l'enquête :

Guerre en Ukraine : l’avenir incertain des réfugiés ukrainiens en France
En l’absence de financements prévus dans le projet de loi de finances 2025, plusieurs milliers de réfugiés ukrainiens en France pourraient être sommés de quitter leur logement d’ici au printemps prochain. Les associations, à court de moyens, demandent des garanties.
  • En 2024, deux ans après le début de la guerre en Ukraine, environ 90 000 Ukrainien·nes bénéficient de la protection temporaire en France. Un dispositif, prolongé jusqu'en mars 2027, qui leur permet notamment de bénéficier d'un droit au logement.
  • La même année, un tiers des déplacé·es ukrainien·nes bénéficient ainsi d'un logement individuel grâce à l'IML, un dispositif d'intermédiation locative qui permet à des associations de sous-louer des appartements du parc locatif à des ménages en difficulté.
  • Alors que l’État est censé rembourser les organismes tiers engagés dans le dispositif, ce dernier « ne remplit plus [sa] mission », relève l'enquête de La Croix à travers la voix de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). « En avril 2024, une organisation de la FAS sur trois déclarait ne pas avoir reçu la totalité des financements de l’État pour l’année 2023, alertait l'organisation. Après avoir pioché dans leurs fonds propres et réalisé des avances, les associations sont sur la corde raide. Et nous ne savons pas si l’IML sera maintenue. »
  • En octobre 2024, en Meurthe-et-Moselle, entre 60 et 70 familles ukrainiennes ont ainsi été sommées de quitter leur logement. De quoi susciter l'inquiétude des principaux·ales concerné·es comme des acteurs associatifs, dans un contexte où la question était absente du projet de loi de finances 2025.

💥 En quête d'impact

Un an après la publication de l'enquête de La Croix, l’État a-t-il réagi ? Les associations de défense des exilé·es ukrainien·nes se sont-elles mobilisées ? La presse s'est-elle fait l'écho de l'enquête? On vous décrypte l'impact de l'enquête.

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IMPACT INSTITUTIONNEL ❌✔️

→ La protection temporaire a été prolongée jusqu'en 2027 pour les déplacé·es ukrainien·nes, ce qui leur assure de fait une meilleure protection en France.

→ Lors de la rédaction de l'article, la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) avait assuré que « l’État financera les frais engagés des associations dans le cadre du dispositif d'intermédiation locative pour les ressortissants ukrainiens ». Depuis, l’État n'a annoncé aucune nouvelle mesure à ce propos.
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IMPACT MÉDIATIQUE ❌✔️

→ L'enquête de La Croix a inspiré d'autres journalistes dans la rédaction de leur article, notamment celui de France Info sur la situation de déplacé·es dans l'Aude. « La journaliste m'a dit s'en être servie pour démêler les questions du logement qui ne sont pas évidentes à comprendre », explique Capucine Licoys.

→ De manière générale, l'impact médiatique a néanmoins été très faible. « Malheureusement, une actu en chasse une autre et à ce moment-là, la grosse actu, ça restait Gaza », relève la journaliste.
⚖️
IMPACT JUDICIAIRE ❌

→ Aucune action en justice n'a fait suite à la parution de l'enquête.
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IMPACT PUBLIC ❌✔️

→ Suite à la parution de l'article, la journaliste a reçu un appel de Philippe Godillot, président de l'association Ile-de-France-Ukraine (IDFU) pour la remercier d'avoir mis le sujet en lumière.

→ La journaliste n'a pas eu d'autres retours d'acteurs associatifs. « Honnêtement, ils sont débordés, explique-t-elle. Parmi les acteurs associatifs avec lesquels j'ai été en contact, la visibilité médiatique n'était pas leur priorité. Ce qu'ils voulaient, c'était que ça avance sur le terrain. »

🕵️‍♀️ Les coulisses de l'enquête

Capucine Licoys a été journaliste pour La Croix. Aujourd'hui en reconversion professionnelle, elle a accepté de revenir pour Rembobine sur ses méthodes d'enquête, le "hiatus" entre les discours d’État et l'accueil réellement réservé aux déplacé·es en France, et la difficulté de faire exister médiatiquement son enquête.

« Le sujet des Ukrainien·nes est beaucoup retombé avec l’actualité à Gaza »
Journaliste pour La Croix, Capucine Licoys a enquêté en 2024 sur la situation des déplacés ukrainiens en France et notamment sur la question de l’hébergement via le dispositif d’intermédiation locative.

🧰 Pour mieux suivre le sujet

Depuis plusieurs années déjà, vous entendez parler de la guerre en Ukraine dans les flash info sans jamais avoir pris le temps de creuser le sujet ? Avec Timothée et Simon, on vous a sélectionné trois reco' pour prendre un peu de hauteur ce sujet difficile :

La journaliste Maurine Mercier, correspondante de la RTS à Kiev, fait parvenir ses notes vocales depuis la capitale ukrainienne. Dans le podcast "Carnets d’Ukraine", elle dresse des portraits insolites d'habitants sous les bombes et raconte le quotidien de vies bouleversées par la guerre.

Écrite par Pierre Alonso, ancien journaliste de Libération aujourd'hui installé en Ukraine, cette newsletter « artisanale, qui paraît les 4, 14 et 24 de chaque mois, tente de raconter la guerre en suivant l'onde de choc qui se propage du front jusque dans la société ».

Un véhicule polonais sillonne les routes d’Ukraine avec à son bord des personnes évacuées suite à l’invasion russe. Le van devient un refuge fragile et transitoire, une zone de confidences et d’aveux d’exilés qui n’ont qu’un objectif, échapper à la guerre.

Et comme l'actu nous rattrape parfois tragiquement, on vous invite à aller regarder le travail du photographe français Antonin Lallican, tué le 3 octobre dernier par un drone dans le Donbass, en Ukraine.

💥
Comment multiplier l'impact de l'enquête ?

Face à la situation des déplacé·es ukrainien·nes mais pas que, vous vous sentez parfois démuni·es ? On vous a préparé quelques idées d'actions concrètes pour participer, chacun à son échelle et selon ses moyens, à faire bouger les lignes.

1. Partagez à vos proches l'enquête de La Croix et le décryptage de son impact par Rembobine

2. Renseignez-vous sur la situation des déplacé·es en France notamment grâce aux médias spécialisés sur les questions migratoires et/ou indépendants comme Blast ou StreetPress

3. Interpellez votre député·e sur la situation des déplacé·es en France (VoxPublic a conçu une fiche méthodologique très détaillée à ce propos)

4. Soutenez des associations et/ou engagez vous bénévolement dans des associations qui viennent en aide aux déplacé·es à l'image d'Utopia 56 ou La Cimade

5. Prenez part, samedi 11 octobre, à la manifestation initiée par le Mouvement associatif (qui revendique 700 000 associations membres) face aux craintes de coupes budgétaires

6. Si vous en avez les moyens, engagez-vous dans une démarche de parrainage citoyen qui permet d'offrir une aide financière et logistique à des personnes en exil

Merci de nous avoir lu jusqu'au bout ! N’hésitez pas à nous écrire pour nous partager vos retours : on sera ravi·es d'échanger ensemble. N'hésitez pas non plus à parler de Rembobine autour de vous ! En tant que média indépendant, le bouche-à-oreille reste notre plus grande force.

À très vite sur Bluesky, Instagram, LinkedIn, et à dans deux semaines dans vos boîtes mail ! Et pour les plus curieux·euses, je vous laisse avec l'interview que j'ai donnée à RFI pour présenter notre Guide sur le journalisme d'impact aux côtés de Mathias Destal, cofondateur de Disclose.

Atelier des médias - Journalisme d’impact : un guide pratique conçu par Disclose et Rembobine
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Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante