« Dans le contexte politique actuel, le sujet des demandeurs d'asile ne fait absolument pas réagir »
Feriel Alouti est journaliste indépendante. Elle s'intéresse tout particulièrement aux questions liées à la justice, au monde carcéral, au narcotrafic et aux migrations.
En décembre 2024, elle publiait avec Léa Prati pour Disclose l'enquête « À Lyon, l’État refuse d'héberger des femmes exilées enceintes ou avec des bébés, en toute illégalité ».
Un an plus tard, elle revient pour Rembobine sur le rôle des lanceurs d'alerte, l'importance de collaborer avec une data journaliste, et les difficultés à voir advenir des changements systémiques.
Bonjour Feriel. Qu'est-ce qui vous a poussée à travailler sur la situation des demandeurs d'asile de la région lyonnaise ?
J'avais déjà travaillé sur l'accompagnement des demandeurs d'asile à Lyon. J'avais notamment documenté les défaillances de l'association Forum réfugiés pour Médiacités Lyon. Je connaissais donc l'écosystème lyonnais, c'est comme ça que Disclose a décidé de me confier l'enquête.
Votre enquête révèle que plus de 460 femmes en demande d'asile ont été laissées à la rue par l’État à Lyon, dont plus d'une centaine enceintes. Comment avez-vous réussi à établir ce chiffre ?
À l'origine, un lanceur d'alerte a transmis à Disclose un document interne du bureau lyonnais de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui répertoriait tous les demandeurs d'asile toujours en attente d'un logement [entre janvier 2023 et juillet 2024 dans les départements de l'Ain, l'Ardèche, la Loire et le Rhône, NDLR]. C'est grâce à ce fichier que tout a commencé ! À partir de là, il a fallu voir si des femmes étaient concernées et si oui, quel était leur niveau de vulnérabilité. Pour la première fois, j'ai travaillé en collaboration avec une data journaliste [Léa Prati, aujourd'hui en poste au Monde, NDLR] à partir d'un fichier Excel très volumineux.

Retrouvez notre mesure d'impact de l'enquête de Feriel Alouti et Léa Prati
Comment vous êtes vous réparties le travail ?
Léa a travaillé de son côté pour extraire du document les données dont nous avions besoin, à savoir le nombre de demandeuses d'asile enceintes ou avec des très jeunes enfants, et sans hébergement. L'hypothèse du lanceur d'alerte était que l'OFII ne respectait pas sa mission, mais nous avions besoin de le vérifier de façon chiffrée. Une fois que ces chiffres ont été établis, j'ai fait du phoning, c'est-à-dire que j'ai essayé de retrouver la trace de femmes vulnérables qui n'avaient toujours pas d'hébergement, mais ça n'a pas été facile : les demandeur·euses d'asile ont souvent des téléphones avec des cartes prépayées qu'iels se prêtent les un·es aux autres. Deux femmes ont néanmoins fini par accepter de me confier leur histoire. Toutes deux ont eu des parcours migratoires très difficiles, marqués par la violence et les traumas. Vivre à la rue n'a évidemment rien arrangé, au contraire.
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La situation que vous décrivez concerne-t-elle uniquement la région lyonnaise ?
Non, bien sûr. Partout en France, des manquements sont régulièrement constatés. L'avocat Samy Djemaoun [spécialisé dans le droit des étrangers, NDLR], par exemple, fait régulièrement condamné l'OFII devant les tribunaux partout en France pour non respect de ses obligations. C'est un travail de titan, qui demande beaucoup de persévérance car sur ces questions, ça avance très lentement. D'autant que dans le contexte politique actuel, le sujet ne fait absolument pas réagir. Les gens ne se sentent pas concernés par le fait que des demandeuses d'asile dorment à la rue avec leurs bébés car ils ne se projettent pas, sans compter qu'une partie des Français estime que la France accueille trop d'immigrés. Or, on n'est pas sur un débat moral ! Il s'agit simplement de savoir si la France respecte, ou non, ses obligations.
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